Il y a quelque chose de délicieusement réjouissant à profiter de la vue sur la baie de Saint-Brieuc, posé sur un carré herbeux en surplomb du port de Binic, à voir le soleil prendre ses quartiers de nuit et à entendre la marée monter à grandes enjambées tapageuses vers la plage déserte en contrebas. Réjouissant et quelque peu lunaire quand on se souvient qu’au matin on enseignait à des adolescents blasés comment bloquer des cellules absolues dans une feuille de calcul. Pensée, à cet instant, pour mes camarades restés au front et pour lesquels je n’aurai aucune forme de perversité à me savoir là quand eux résistent là-bas à la mitraille des questions.
Sur la route, un moment symbolique qui plairait à mon trio de matheux préférés. Fallait voir la scène : moi au volant, dans les ralentissements du pont de Cheviré, l’œil gauche sur la file de gauche qui joue de l’accordéon, l’œil droit sur le compteur kilométrique général. Maxime, à mes côtés, le bras tendu et le téléphone à bout de bras, prêt à déclencher en rafale lorsque le van atteindrait le nombre absolument magique de 123.456 kilomètres. Photo faite à 85 km/h. Quatre-vingt-cinq, comme le département d’où l’on s’échappe. Que l’on fuit, parfois.
La route lave la fatigue, pourtant inquiétante ces derniers jours. Suffisamment pour que je me pose la question de savoir s’il était bien raisonnable de partir. Des bâillements à répétition, une fatigue chronique à peine compensée par des nuits encombrées de rêves inutiles. Pour autant, je n’ai jamais douté que je partirai. Maxime en avait envie, j’en avais envie, et finalement, ces bâillements avaient plus à voir avec l’ennui qu’avec une difficile récupération du dernier week-end. Et si ce soir, après un délicieux fish-and-chips sur le port, quelques photos sur le chemin du retour, et un shot d’Aberlour partagé avec le fils devenu homme, mes yeux se ferment sans attendre la nuit, ce n’est que la signature d’une belle journée pleine de promesses.