Le Plomb du Cantal
Ainsi, il m’aura fallu deux jours pour que le diesel trouve son rythme de croisière, deux jours, vingt-cinq kilomètres et neuf cents mètres de dénivelé positif pour sentir intimement que ma carcasse était rodée, que les muscles avaient sympathisé avec les pentes et que mon palpitant avait apprivoisé l’altitude. C’est une sensation agréable et surprenante ; quand je me suis retrouvé aux pieds du Plomb du Cantal, au col de Prat de Bouc, face à ce cirque majestueux et millénaire, alors que je franchissais la première barrière d’estive, j’ignorais que j’allais grimper comme un jeune mouflon qui découvre la vie.
D’un caractère parfois solitaire et le plus souvent préférant la compagnie des vaches à celles des humains, j’ai effectué un pas de côté pour choisir de gravir la pente qui mène aux 1855 mètres d’altitude du Plomb du Cantal, plus haut sommet du massif cantalien, en empruntant un chemin doux, moins fréquenté et plus offert au plaisir des sens -il y a des bouses fraîches et des fleurs en bouquet, voire l’inverse-, que le chemin de grande randonnée, triplement numéroté sur les cartes IGN et qui hisse ses marcheurs dans une longue ligne droite montante, sorte de Nationale 7 un jour de transhumance estivale, bouchons compris.
Bien m’en a pris, j’ai pu croiser des personnes charmantes qui marchaient avec leurs chevaux sur ce qui, finalement, n’est qu’une piste de ski en hiver ; piste assez ridicule, avouons-le. S’il y a un intérêt au réchauffement climatique, c’est qu’on finira par ne plus skier sur le versant est du Plomb, et qu’une âme charitable ou un édile bien intentionné finira par ôter les télésièges et les remontées mécaniques qui jurent dans le paysage.
Le Plomb, on y était allé avec Maxime, c’était je crois en 2014, ou 2016, je ne sais plus trop ; ces années médianes et houleuses de la décennie précédente s’effacent. Nous avions pris le téléphérique qui part de la station du Lioran puis nous étions restés en haut de longues minutes, à admirer la vue à 360 degrés qu’offre cette plateforme volcanique : d’un côté le Griou, le Puy Mary et les fours de Peyre Arse, le stratovolcan cantalien dans toute sa splendeur, de l’autre la plaine d’altitude qui conduit à Saint-Flour. Je n’ai pas fait autrement en ce dimanche matin, et j’étais bien mieux là qu’à la messe à prier je-ne-sais quel saint, Flour -quel nom !-, ou un autre ; en guise d’hostie, j’ai avalé une barre de céréales et j’ai descendu une demi bouteille de flotte, la source locale vaut bien le sang du Christ.
La descente s’est effectuée sous les mêmes auspices et après quelques minutes sur la ligne droite moins embouteillée que je le craignais, j’ai mis le clignotant à droite pour me diriger vers le col de la Tombe du père. Aucun risque à s’écarter de la ligne rose des cartes TOP25, d’autres renfrognés s’étaient déjà aventurés sur ce flanc et leurs traces, sombres et profondes dans cette terre de lave, menaient à une autre piste de ski qui tombait sur le parking. J’ai tout de même pris soin de refermer toutes les clôtures électriques -en veillant à ne pas me prendre une châtaigne comme lors d’une randonnée au col de la Croix Morand-, et de contourner un troupeau ; toujours prendre le temps de discerner les veaux afin de ne pas risquer la colère de la mère, surtout que là, c’était le père, toutes cornes dehors, l’air mauvais ; j’ai bifurqué, enjambé un gué, crapahuté entre des rochers et j’ai repris la piste de ski, avec l’air du mec de passage, salut les filles, ça boume ?
Une fois en bas, dans le van, après un échange rapide et plein de connivence avec un couple qui remballait ses frusques, leur matos et leur chien dans leur van garé juste à côté, après donc ces neuf bornes circulaires et son dénivelé modeste (455 mètres tout de même), je me suis restauré en prenant mon temps ; la notion qui devenait floue hier commence à ne plus vouloir dire grand chose. Exceptionnel gueuleton, voir photo ci-contre. Autre notion qui perd son sens : le kilométrage ; finalement cumuler les pas n’est rien, l’essentiel est d’être là où on doit être.
Puis je me suis véhiculé jusqu’à Murat que j’ai visité rapidement, le temps de quelques pĥotos, Murat endormie en ce dimanche, Murat avec ses maisons de pierres granitiques, Murat enfin qui pourrait être le départ d’un trek absolument magique qui m’emmènerait jusqu’à Conques.
Bonus track #1
Un dernier mot encore. J’ai commencé cet article en évoquant un bouc et un mouflon, restons dans les ovins et parlons des humains qui viennent de s’installer au camping. Imaginez un terrain de foot divisé en vastes parcelles qui sont autant d’emplacements possibles ; de la taille d’un terrain de tennis, on pourrait loger deux semi-remorques sur chacune d’elles. Imaginez que sur ce terrain de foot, seules deux parcelles sont prises, l’une par des gens au niveau du poteau de corner, c’est à dire loin, l’autre par ma pomme ; bref ça laisse de la marge pour se parquer sans se marcher sur les chaussures à crampons. A votre avis, où se sont garés les moutons du Maine-et-Loire qui viennent de manœuvrer leur caravane king-size ? J’avais vue sur le parc, sur les mômes qui jouaient dans les structures gonflables ou au ballon, sur le terrain de pétanque et le snack, sur les allers et venues des campeurs, tout cela au loin, à distance. J’ai désormais vu sur le pommeau de la caravane et son fouillis de câble, ainsi que sur l’avancée en toile qu’ils ont mis deux siècles à monter ; je ne me plains pas, j’aurais pu contempler le cul de la caravane et voir se remplir la cassette des eaux grises.
Bonus track #2
Une autre vue de Murat, entre l’église Notre-Dame des Oliviers et la halle.
Bonus track #3
Voilà ce qui arrive quand on prend des fleurs en photo, en mode macro, puis qu’on oublie de modifier les réglages de l’appareil photo lorsqu’un cavalier passe. Reste que ça fait vachement western comme ça.
Note aux photographes débutants : ne jamais supprimer une photo au seul motif qu’elle est floue.