Le repos, la chaleur et les tours
Si ce matin, le van était posé à quelques mètres du lit de la Cère, ce soir il surplombe de quelque dizaines de mètres le cours paisible de la Dordogne ; autant dire que j’ai pris du galon, à ce rythme je vais finir par dormir en bord de Loire. Me voilà donc à Argentat, au camping municipal, sur le parking visiteurs duquel j’avais dormi au printemps dernier, cette fois sur de l’herbe verte entre des familles caravanées et écrasées par la chaleur qui s’est soudainement abattue sur la région. C’est l’heure du dîner et des odeurs se propagent parmi les rangées de vacanciers ; certains ont des goûts culinaires douteux, les effluves qui s’échappent d’on-ne-sait-où est un curieux mélange de lessives et de fricassée de ragondin sans doute prélevé sur une rive vaseuse de la Dordogne.
Pourquoi ici, alors que j’ambitionnais hier encore de descendre jusqu’à Vic-sur-Cère depuis le Plomb du Cantal -18 Km de pente négative sur les crêtes-, alors que j’envisageais également, une fois parti de Vic, une expédition plus au sud pour découvrir les gorges du Bès ? Tout simplement parce que ce matin, je n’avais plus de piles, que mes batteries étaient vides, qu’il n’y avait plus d’essence dans le moteur ; le mouflon découvrait les vicissitudes de la nature humaine, laquelle ne se prive parfois pas d’offrir une contrepartie perfide aux euphories expérimentées la veille.
Et aux coups de soleil cuisants, à la fatigue musculaire comme articulaire, s’est ajoutée une vague de chaleur venue du sud et qui a fait monter le mercure dans des proportions qu’il aurait été imprudent de défier. J’ai donc tiré un trait sur ces deux balades qui me reverront sous un jour meilleur et j’ai mis à exécution, à une échelle bien plus modeste, l’idée que j’avais eue hier en quittant le camping de Laveissière : faire la route pour voir du paysage. Et puis rouler, c’est faire de l’air, c’est respirer, tout ce qu’il m’était impossible en restant dans la région, a fortiori en restant inactif au camping.
Passé Aurillac, j’ai pris la direction des tours de Merle, en Corrèze, non sans m’arrêter quelques kilomètres plus avant dans une campagne aussi généreuse qu’écrasée par la chaleur, avec des vallées rondes et boisées, afin d’admirer les ruines des tours de Carbonnières, vestiges féodaux du XIème siècle. Pour seul contact avec la société des humains, un trentenaire appelait son chien qui avait encore foutu le camp.
Admirer le panorama sur ces tours posées comme deux compressions de César sur des monticules rocheux se mérite et c’est après une descente en sous-bois de quelques minutes qu’on déboule sur une trouée entre des chênes et qu’on se pose sur le belvédère tant attendu.
A partir de là, ça déraille. Mollement, mais ça déraille. Je n’avais qu’à faire demi-tour, remonter sagement -mais au prix d’un sérieux effort- jusqu’au van et mettre les bouts. Seulement, un panneau indiquait une boucle depuis le belvédère qui me ramenait au parking, en passant dans la forêt ; chouette, de l’ombre. Mais avec, je le découvrirai chemin faisant, une pente plus coriace que celle qui conduit au point de vue sur les tours de Carbonnières. Deux kilomètres de grimpette, quand en faisant machine arrière, je n’avais qu’une très grosse centaine de mètres, mais il y a en moi un trouble obsessionnel qui m’empêche de rebrousser chemin ; il me faut m’engager dans une boucle, alors même qu’un célèbre photographe disait avec raison que faire demi-tour, c’est découvrir un autre paysage. Je t’en fous du demi-tour ; je me suis engagé dans la boucle, certes jolie, mais qui m’a rappelé qu’aujourd’hui ce devait être une étape de repos, une transition molle vers un jour plus doux.
Quelques kilomètres plus loin, je me suis garé face aux tours de Merle, site lui aussi médiéval et nettement plus imposant et qu’on voit très bien de loin. On doit certainement mieux les apprécier de près, il y a même des visites et des spectacles, mais pour cela il faut descendre, donc remonter, et j’ai refusé de m’y aventurer, c’eut été la goutte de trop. Je ne renonce pas à y revenir en famille, en prenant le temps, et je suis sûr que ces tours, cinématographiques en diable, offrent une meilleure ambiance un jour de pluie.
La suite est anecdotique, une route sympathique qui descend vers Argentat après être passée dans le village de Saint-Cirgues-la-Loutre (le nom m’a fait sourire, l’anecdote encore plus : en 1342, le maçon qui construisait l’église voyait chaque jour son édifice se casser la binette, un jour il lança son marteau en l’air en se disant qu’il construirait définitivement l’édifice là où tomberait son outil, qui retomba sur une loutre, la tuant sur le coup ; la légende était née), puis un plongeon dans le bouillon humain de la piscine municipale histoire de me rafraîchir -la tronche de la dame à l’accueil quand elle m’a vu sortir quinze minutes après être entré, elle ferait mieux de s’occuper de ses atours capillaires, avec sa tête toute ronde elle ressemble à une balle de tennis à la fin de Roland-Garros-, puis une sieste dans le van comme on marine dans un faitout, de la lecture et un dîner rapide et froid tant il était impossible d’envisager de manger chaud (34° à 20h). Demain, cap au nord.