Il y a eu un jour 6, mais c’était un jour de relâche. Pas de représentation ; la via ferrata nous a été interdite pour des raisons bassement administratives et la déception fut à la hauteur de l’attente de cette grimpette à flanc de cailloux, un œil sur la prochaine marche de métal enfichée dans le granit, l’autre sur le lac tout en bas qui pourtant renvoyait ses éclats céruléens. Mais l’enfant n’a pas quinze ans ; une question d’assurance, il fallait obligatoirement un guide de haute montagne pour nous accompagner. Nous avons repensé à cette via que l’on avait réalisée l’été dernier dans les Pyrénées, aux enfants qui montaient avec leurs parents. Mon cabris (c’est fini), tout en maîtrisant sa double longe qui le reliait à la vie, sautillait d’une marche à l’autre. Mais hier, la police d’assurance a ruiné nos espoirs et plongé les grimpeurs dans un moment pesant qu’il a fallu alléger au plus vite. Etait-ce la bonne solution, j’ai choisi de passer par le Pas de Peyrol pour rejoindre notre prochaine étape. Après d’innombrables virages, tous hantés par des cyclos du dimanche à l’assaut du Puy Mary, nous avons plongé dans la vallée pour rejoindre Murat ; vers le Cézallier, l’orage cognait fort, brouillait les reliefs et des trombes d’eau noyaient les perspectives. Quelques minutes plus tard, nous arrivions dans la Margeride, espace vierge que nous découvrons, massif montagneux méconnu posé sur le Cantal, la Haute-Loire et la Lozère.
Les activités et les lieux des premiers jours avaient été plus ou moins planifiés (du VTT, Salers, le col de Legal, même la via ferrata). En quittant les volcans, nous avons modifié notre logiciel pour la seconde partie du périple estival. Ainsi, hormis une vague direction entre deux points cardinaux qui nous conduira peut-être dans les Cévennes, nous ne savions pas, en partant d’Aurillac, où nous irions précisément. L’objectif était simple : on roule, on admire, et si ça nous plait, on s’arrête. Il en va ainsi du road-trip en van. Ruynes en Margeride ? On passe. Le mont Mouchet et le monument National aux Maquis, immense colonne commémorative en pleine forêt ? On s’arrête et on casse la croûte sous les sapins. Malzieux ? Pas de camping avant la fin de journée, on passe mais j’y reviens dans quelques lignes. Finalement, Saint-Alban-sur-Limagnole, pour deux nuits. Au tout début de la première, alors que le ciel était d’une pureté laissant voir les milliards de supernovas et de galaxies, des céphéides changeantes, des constellations peuplées de géantes rouge et des nébuleuses presque à portée de main, j’ai cessé de compter les étoiles filantes à la dixième ; la huitième était un bolide comme je n’en ai que rarement vu.
Ce matin, c’était Malzieux, cité médiévale dont il valait mieux, dans notre cas, nous qui sommes légèrement anthropophobes, épuiser toutes les artères ce lundi, plutôt que demain mardi, où en plus du marché hebdomadaire (qui ne nous aurait pas déplu) se tiendra une importante brocante dont on sait, via la boulangère, qu’elle attirera chineurs comme touristes, collectionneurs matinaux comme badauds indolents ; en bref, du monde et beaucoup. Ce lundi, nous avions la vieille ville pour nous, ou presque. Certaines rues étaient désertes et ressemblaient à des décors de cinéma, d’autres faisaient cohabiter des demeures d’époque (on parle tout de même du XVIème siècle) avec des bâtiments typiques des années soixante, moches et sans âme. Des fanions ployaient au vent, donnant un aspect vaguement festif qui contrastait avec des boutiques sans vie dont les objectifs commerciaux restent flous, telle la boutique des “Chaussures Firbal, tout pour la photo, tout pour le funéraire”. L’office du tourisme propose une étonnante expo sur les présidents de la République ; j’y ai passé un long moment à lire leurs courtes biographies, de Louis-Napoléon Bonaparte le fossoyeur de la France à Sedan, à René Coty, dernier chef d’état de la Quatrième ; j’ai sciemment fait l’impasse sur les présidents de la Cinquième, la liste nous faisant passer de Charybde en Scylla.
Puis nous avons gagné Apcher, un village médiéval à l’écart des routes les plus excentrées (autant dire qu’il faut le vouloir pour s’y rendre) à quelques kilomètres de Malzieux et qui cache un trésor archéologique qui remonte au début du XIIème siècle ; si quelques éléments d’époque subsistent, à commencer par un impressionnant donjon et une modeste chapelle, le reste des ruines est entretenu par une association qui préserve la mémoire de cette place forte de la baronnie du Gévaudan.