Les veilles de départ, et plus spécifiquement les nuits qui précèdent un départ, sont chez moi toujours le théâtre de diverses sensations parfois physiologiques -une couronne qui cogne contre la deuxième prémolaire, des arythmies psychosomatiques ou de légères brûlures d’estomac, cette fois davantage dues au repas de la veille qu’au stress de prendre la route- ou d’ordre psychologiques ; c’est généralement le moment où je me demande si je fais bien de partir, d’aller là où j’ai décidé d’aller, à cette période et non plus tard, et seul. Je me raisonne et me répète que je n’ai nulle envie d’aller ailleurs, que je ne quitte pas ceux qui restent mais que je vais trouver ce dont j’ai besoin : ces vibrations telluriques qu’offrent les terres volcaniques, ces vertiges provoquées par des pentes inamicales et après lesquelles on aime grogner pendant des dizaines de kilomètres, cette nature enfin, qu’on retrouve comme une amie de longue date qui nous attend les bras ouverts et chargés de chemins à arpenter.
Souvent lors de la nuit qui précède un départ, les rêves effacent ces pensées encombrantes -cette nuit, je faisais basculer un match de foot en entrant pour les dernières minutes, je marquais ou délivrais une passe décisive miraculeuse, enfin j’étais la vedette du jour ; je cauchemarde rarement les veilles de départ. Reste qu’au réveil, il m’arrive toutefois de ressentir un vide abyssal quant à mon trajet. Ce matin n’a pas dérogé à cette habitude et, en ouvrant les yeux, je ne savais toujours pas quel serait précisément mon point de chute. J’ai passé les premières heures de la matinée comme un troufion ensuqué qui prépare son paquetage, puis j’ai su, intimement et irrémédiablement, ce que je devais entreprendre. Dès lors, la brume derrière mes yeux s’est levée, j’ai dit au revoir à mes amours et je suis parti.
J’avais d’abord envisagé le Suc au May, au sud du parc naturel de Millevaches, afin de contempler les étoiles à 900 mètres d’altitude et sans pollution lumineuse, mais trop de nuages allaient s’inviter à ma soirée et la route pour s’y rendre me désespérait par avance ; on y reviendra, la table d’orientation ne va pas s’envoler.
Alors, la petite voix intérieure qui parfois me murmure des gentillesses m’a conseillé la prudence rassurante d’une route connue dont j’ai depuis longtemps accepté l’ennui qu’elle impose et qui, selon les villages qu’elle traverse, de Lussac-les-Châteaux à Moulismes, fait écho à d’anciens voyages en famille sur un axe Est-Ouest désormais familier.
Je suis donc parti vers le Puy-de-Dôme, vers le Sancy, l’un de mes terrains de jeu favoris, Sancy dont on distingue la dentelle des crêtes après quatre heures et cinquante minutes de route. Cette apparition -la banne d’Ordanche et le massif adventif, excusez du peu- telle la flamme rouge du dernier kilomètre, récompense nos efforts et élimine les premiers bâillements de fatigue. Posé dans la nature, je sais que demain c’est grimpette. Alors tout de suite, c’est dodo.