C’est avant le défilé des touristes qu’on profite mieux de Collonges-la-rouge. A Collonges comme ailleurs, l’avenir appartient aux marcheurs matinaux. Nietzsche ne s’y était pas trompé en grimpant matinalement sur les hauteurs de Sils-Maria pour réfléchir à tout un tas de trucs compliqués. S’il était venu à Collonges-la-rouge, nul doute qu’il y aurait aussi pénétrer par un chemin anonyme, en aval aux pieds du château alors que les familles déboulent, elles, par le haut après avoir retiré un ticket hors de prix au parking.
Collonges, il faut y venir juste avant que les autocars ne vomissent des hordes internationales de cheveux gris, qui sitôt descendus d’un mastodonte à étage, vérifient la fiabilité de leurs sonotones en vociférant de gutturales syllabes. Nietzsche, lui, pensait en silence et ne prenait pas un pullman puant qui a lui seul fait fondre une demi-douzaine de banquises.
Collonges, il faut le visiter avant que des bikers, tout aussi grisonnants et tout aussi nombreux, garent leurs Harley au plus près de la rue principale. Comme indicateur de leur arrivée, et juste avant de couper le contact, comme un trouble obsessionnel compulsif, ils balancent un coup de gaz pétaradant, inutile et vaniteuse signature de leur besoin d’être vus.
Les photos sont dans la boîte, partons. Mais non sans aller saluer Maurice Biraud au cimetière pour une photo clin d’œil à mon schnock préféré qui fera de la musique sans moi ce soir.
Une trentaine de minutes plus tard, un millier de virages plus loin, me voilà vers midi à Aubazine. C’est toujours la Corrèze mais une fois la faille jurassique enjambée, la terre est moins rouge, les pierres sont plus grises. Avant de monter au Canal des moines faire couiner mes articulations, j’entre dans l’église abbatiale (oui, Florence, j’entre DANS UNE ÉGLISE !). Depuis les sonos situées autour de l’autel s’échappe le chant angélique d’un enregistrement. Je sors mon micro et capture ce son, cette réverbération unique ; on l’utilisera dans un futur épisode du podcast. Manque de bol, il est trop tôt et je rate l’angélus ; je l’entendrai plus tard, le front en sueur et dans un lieu finalement approprié puisqu’au bout d’un chemin de croix, devant un christ sans visage et légèrement punk, posé sur un calvaire qui surplombe la canopée.
Intermède anecdotique : j’apprends qu’à partir de 1895, mesdemoiselles Julia-Berthe, Antoinette et Gabrielle Chasnel sont pensionnaires de l’orphelinat du Saint-Coeur de Marie. L’une finira par créer des vêtements et des fragrances, et pas des moindres.
Le Canal des moines a été construit au XIIè siècle par des cisterciens qui manquaient d’eau. Les gars ne se sont pas découragés (c’était ça ou un ticket prématuré pour le paradis) et ont creusé un canal à flanc de colline, canal qui prend son départ deux bornes plus haut, depuis le Coiroux, admirable torrent qui dégouline jusqu’à la Vézère, creuse la vallée en gorges sinueuses, s’offre un répit dans un lac artificiel et passe en contrebas d’Aubazine, trop bas pour que les moines ne se l’accaparent sans efforts, d’où le canal, qu’on remonte sans difficulté par un chemin qui l’épouse en lui jurant fidélité.
Je lève le camp et file plein nord vers le Suc au May, sommet local qui, depuis une table d’orientation difficile à déchiffrer mais à 900 mètres d’altitude, offre des vues sur les monts du Cantal, le Sancy, le Mont-Dore, Tombouctou, Zanzibar et Pluton. Mais ça, c’est quand le ciel est dégagé parce qu’entre nous soit dit, à part les moutons sur la colline d’en face, et un lointain limité à une dizaine de kilomètres, j’ai pas vu grand-chose. Je ne me suis donc pas attardé, peut-être en raison de la température hivernale et du vent vendéen au sommet du suc… qui veut dire “sommet” en occitan ; un peu de langues étrangères ne fait jamais de mal.
Et me voilà ce soir au bord du lac de Vassivière, dans un camping qui l’été doit être définitivement repoussant tant il doit drainer des hordes de camping-cars mais qui ce soir, malgré la fraîcheur et le gris des nuages, reste un havre paisible pour y passer la nuit. Enfin quand mamie à côté, ne hurle pas dans son téléphone pour faire un facetime en compagnie de sa petite fille (je le sais, j’ai tout entendu malgré Khatia Buniatishvili qui m’accompagnait dans mon enceinte portative pendant l’écriture de cet article).
Info anecdotique 2 : en cas de mauvais connexion, crier dans son smartphone ne fera pas aller les datas plus vite.
J’ai vue sur ledit lac, le van est légèrement en pente et j’aurai, cette nuit, le sang qui descendra jusqu’aux pieds. C’est l’heure de la bouffe : œufs au plat avec de la poitrine fumée. Demain, rando dans les parages.