La vie en van relève parfois d’un chemin de croix vers les sommets d’un optimisme radieux. On se réveille et nos certitudes s’effondrent, le climat qu’on attendait clément affiche la mine des mauvais jours. Saleté de prévisions météo, qui lors de beaux discours numériques escortés de pictogrammes safranés, font des promesses qu’elles ne tiennent pas et trahissent la confiance qu’on leur portait. Heureusement qu’on ne vote pas pour elles. Ce matin, le plafond est si bas qu’en haut des falaises de Plouha on a peur de se cogner. Pourtant on se lève et on se force à croire que ça va se lever, que le chemin de croix ne proposera que quelques stations pacifiques.
La plage de Port Moguer est un goulet où s’engouffre tous les frimas de la Manche mais le GR34, ici nommé “circuit des falaises”, se faufile entre des pentes abruptes protégées des rafales. Conséquences immédiates : le haut se réchauffe et les cuisses grincent.
Très vite, les panoramas se succèdent et le microscopique port de Gwin Zegal s’offre à marée haute ; les bateaux y sont amarrés par des piquets plantés dans le sable, pareils à de longs cure-dents parfaitement disposés.
Sentier du vertige, le chemin lèche parfois le vide et surplombe une mer bruyante ; vigilance quand on croise d’autres randonneurs. Il y en a peu en ce matin de novembre en mai. Les rares bipèdes ont les cheveux gris et l’on se salue avec le sourire, moquant les nuages ; transfusion d’optimisme. Et juste avant le retour, en bout de falaise, des enfants, jeunes, des classes avec leurs enseignants et guides. L’un des groupes nous fait une “ola” lorsqu’on le croise, les mômes sont polis et prudents. Tout le monde rit et les nuages au-dessus de nous actent leur impuissance ; d’ailleurs des trouées renégates, déjà, laissent entrevoir la lumière du soleil sur la houle, acceptant de fait une défaite prochaine.
Au retour de la randonnée, on se pose sur le parking au-dessus de la plage Bonaparte pour un café bouillant. Puis on descend dans la crique, elle aussi ravagée par les bourrasques glacées. Cette anse, historiquement nommée “anse Cochat”, a une histoire qui remonte aux nuits d’août 1944. Les aviateurs anglais dont les avions avaient été abattus par la DCA allemande étaient récupérés par le réseau Shelburn, initié en 1943 par les services secrets britanniques. Ceux qui étaient tombés dans les environs de Plouha étaient hébergés, nourris et cachés par des Résistants du cru, et quand Radio Londres émettait le message “Bonjour à tous dans la maison d’Alphonse”, les aviateurs privés de leurs ailes descendaient dans la crique lors d’une nuit sans lune, au risque de se faire tirer dessus par l’ennemi, et regagnaient en barque une vedette de la Royal Navy cachée au large de la Pointe de la tour.
Quatre heures plus tard, ils étaient de retour en Angleterre. 142 pilotes ont été rapatriés, le réseau des passeurs, composé de nombreux civils, n’a jamais été démantelé par la Gestapo. J’ignore si la baraque posée sur un piton au-dessus de l’anse a joué un rôle dans cette histoire.
Enfin, le soleil. On déjeune puis on pique du nez quelques longues minutes dans le van qui a le nez au vent à la Pointe Bilfot. Au réveil, la mer en-dessous se calme et se retire, et les îles, des plus modestes au plus vantardes, s’étendent en cyclades vers la baie de Paimpol. En fin de journée, nous descendons à Béhec (une rue, mais trois bistrots) et nous nous attablons en terrasse pour siroter un verre de Chardonnay. La journée s’achève, la soirée commence. Demain, on remet ça.