Sur le chemin qui nous ramène à la maison, à mesure que passent des kilomètres de bitume et que nous doublent des dingues pressés d’en finir, mon esprit quitte parfois l’habitacle du van pour se nourrir des récents souvenirs de ce mini road trip. Il y a d’ores et déjà une nostalgie qui s’installe, et je repense, toutes proportions gardées, à Jim Harrison qui, dans la bien nommée “Route du retour”, fait dire à l’un des protagonistes :”Seuls nos rêves donnent à la vie un minimum de cohérence”. Alors ce n’est certes pas la lumière crépusculaire du Nebraska, c’est juste une fin de journée en Bretagne, mais c’est déjà énorme et savourons-la jusqu’à la dernière goutte de soleil. Et, en toute cohérence, rêvons au prochain départ.
Au matin, nous sommes allés marcher tout autour de la pointe du Château, depuis la plage de Porz Hir jusqu’au Gouffre de Plougrescant. Modeste promenade sur ce bout du monde déchiqueté qui étale des galets casses-pattes et offre un agréable mélange de sous-bois et de voies côtières au ras des vagues. C’est toujours le GR34, décidément séduisant. Au Gouffre, une maison mille fois photographiée (mais comment résister ?) persiste à défier les vents, blottie entre ses deux rochers gardes-du-corps. Le monde se fait plus dense, les rochers sont pris d’assaut ; un dernier regard vers l’horizon, une dernière photo, et l’on revient vers le van par des chemins fleuris.
Nous avons décidé de rentrer par étapes, la première nous conduit à travers terres et vallons aux gorges du Corong. Sur place, il est l’heure de passer à table mais le butagaz fait relâche, la bonbonne est vide et l’on mangera froid. La descente est douce le long du ruisseau de l’Etang du Follézou qu’on voit d’un coup disparaître sous un chaos de blocs granitiques. Quelles merveilles, ces blocs ! On y redevient enfant, on y grimpe, pieds et mains au contact de la chair même de la pierre ; on y passerait des heures à débusquer le ruisseau qui court en secret sous nos pas. Lors de la remontée, Maxime s’étonne de ne pas voir d’animaux. Je lui dis que ce sont eux qui nous regardent, qui attendent qu’on leur laisse leur territoire et qu’il nous faudrait le temps long de l’affût pour espérer en croiser un. Nous ne sommes pas chez nous, nous sommes de passage.
Le lac de Guerlédan est notre prochaine étape. En ce dimanche de Pentecôte aux couleurs estivales, nombreux sont les locaux qui ont choisi d’y venir prendre le frais. Une brève promenade nous dissuade d’y rester plus longtemps. Nous croisons plus de monde en moins de trente minutes que nous n’en avons vu lors de nos balades ces trois derniers jours. Sans doute ai-je mal choisi l’endroit, il doit y avoir plus discret. Ce sera pour une autre fois. Mais je regrette instantanément de n’avoir pas fait ce minuscule détour pour découvrir un village le long du canal de Nantes à Brest. Je garde en mémoire cette possibilité, ce nouvel ailleurs. Pour l’heure, nous rentrons retrouver les nôtres qui, dès notre retour, agissent comme des baumes sur notre légère mélancolie.