Ce soir la prose sera brève car la fatigue est là qui préside, contrarie l’éphéméride et le réduit à quelques lignes. Nous avons quitté Salers dans le milieu de la matinée, il faisait déjà chaud. Pourtant, au réveil, peu avant sept heures (quelle idée d’émerger si tôt ; je le paye ce soir), nous étions noyés dans un brouillard poisseux qui ne laissait rien augurer de bon. Un rapide tour au lieux d’aisances puis je me suis blotti dans la chaleur du van, un livre sous les yeux, en espérant, en vain, me rendormir. Moins d’une heure plus tard, le soleil avait fini par avoir la peau de la purée de poix et rayonnait fièrement sur nos têtes et sur celles des puys environnants, notamment sur l’intimidant Puy violent qu’il conviendra un autre jour de dompter ; aujourd’hui l’objectif était ailleurs, vers une crête non moins redoutable.
Nous sommes arrivés en fin de matinée au col de Legal, à 1234 mètres d’altitude, suite de chiffres aussi parfaite que le GR400 qui dégringole du Puy Mary, via le Puy Chavaroche en passant par Cabresprine, mon but personnel du jour ; mes amours iraient moins loin, à la mesure de leurs possibilités, mais verraient tout de même du paysage à 360°. Le col de Legal était une case vierge que j’attendais impatiemment de cocher ; cette longue montée vers les crêtes qui surplombent la vallée de la Jordanne d’un côté, la vallée de la Bertrande de l’autre, où sur les reliefs intranquilles ont été saupoudrées des vacheries et des burons, où l’horizon, d’où qu’on l’embrasse, offre son décor de contes fantastiques, cette exigeante ligne droite, mis à part quelques brefs contournements de puy plus modestes, m’a fait grimper à 1500 mètres, entre chemins pierreux propices à des entorses de première catégorie (surtout regarder où l’on pose ses semelles, infidélité temporaire au panorama), ornières profondes dont la couleur sombre rappelle celle des salers (les vaches, qu’on croise et qui viennent vers nous, sont nombreuses et surtout chez elles) et pentes herbeuses sur lesquelles on se laisserait volontiers rouler-bouler.
Une fois de retour au van, j’ai retrouvé mon duo rasséréné ; Flo avait préparé une salade, je n’avais plus qu’à mettre les pieds sous la table. Puis nous avons bu un café à l’auberge du col, et une compagnie hétéroclite en âge, parfaitement francophone et liée par un mystérieux attrait pour ce qui fait britannique, est descendue du pré qu’ils avaient colonisé quelques dizaines de mètres plus haut pour le déjeuner (certains portaient des kilts, un autre le casque d’un bobby, d’autres enfin, et plus nombreux, des tee-shirts avec, imprimés sur toute la largeur, le portrait d’un des membres de la famille royale ; c’était d’un kitsch parfaitement assumé) en faisant brailler le Flowers of Scotland, hymne épique, émouvant et fécond, le plus souvent entendu en préambule d’un match du Tournoi des six nations.
Puis nous sommes descendus vers la vallée, repérant au passage les spots pour la journée de demain, entre promenade au bord de la Jordanne et via ferrata sur un cailloux écrasé par le soleil. Nous nous sommes enfin posés à Aurillac, ville du parapluie que nous avons visitée en quelques rues étroites et décorées. Discussion également avec un papa et son fils autour de nos vans (le sien rencontre des problèmes de batteries) et autres sujets automobiles plus pointus qui m’ont fait hocher la tête avec l’air de celui qui comprend tout. La suite n’est qu’un long repos jusqu’au soir ; il est temps d’aller au lit, bercé par le débit soutenu de la Jordanne qui coule à quelques brins d’herbe de notre campement.