Une journée biface, où l’on déambule en fin de matinée sur les rives rocailleuses de la Jordanne, où l’après-midi voit le van serpenter sur des routes qui, lorsqu’on les lit sur une carte, font ressembler celle-ci à du papier froissé, bosselé et veiné de ruisseaux agités et de lignes topographiques indisciplinées, des routes qui donnent le tournis, où chaque virage propose un nouveau relief ; mais il existe une route qui mène en plein centre d’un cœur, j’y reviendrai.
La vallée de la Jordanne, en tant qu’elle consiste en un chemin touristique de quatre kilomètres aller-retour aménagé de ponts en bois, de passerelles et d’escaliers, est une sympathique promenade, parfois exigeante (les cailloux au bord de l’eau, aussi ronds soient-ils, sont semblables à de grosses savonnettes de phonolite), qui permet de combiner pratique de la photographie et plongée au cœur de la nature. On pourrait s’en passer, mais à moins d’un quart d’heure de voiture, ce serait idiot de s’en priver. Mais c’est un samedi d’août au climat absolument parfait et les touristes (dont nous sommes) se sont tous donnés rendez-vous ; anticipant cette cohue, nous sommes partis plus tôt que la meute et nous avons pu faire une bonne partie de la promenade sans trop souffrir de l’affluence ; peut-être ai-je attendu un brin, pour prendre une photo, que le gros monsieur en orange dégage du pont ou que la grappe de lycéennes connectées finisse de transformer une passerelle en studio à selfies ; rien d’insurmontable et l’attente du bon moment pour déclencher, entre absence d’êtres humains et rayons de soleil idoine, est une discipline que seule la photographie enseigne.
Après une pause casse-croûte au bord de la rivière, quelques kilomètres plus loin, nous sommes partis à l’aventure. Dans un accès de facilité, j’ai posé une question au moteur de recherche : qu’est-ce qui pouvait être vu aux alentours d’Aurillac. Les algorithmes m’ont proposé un site simple où une page tout aussi sobre listait des lieux à visiter dont certains nous étaient déjà bien connus. Mon œil s’est arrêté sur le Roc de Roneste ; il était mentionné un formidable panorama et j’aime les vues dégagées.
Ce rocher est une table aérienne et pelée, vaste et en forme de cœur (vue d’avion, c’est plus évident), due à une inversion de relief qui a transformé une ancienne coulée de lave en un plateau basaltique. Il y a deux tables d’orientation, l’une au nord qui pointe les volcans du Cantal, l’autre au sud, qui annonce l’Aubrac. Posé comme un jardin miniature sur cette étendue plane nichée à 773 mètres d’altitude, le cimetière du village compose avec la chapelle Saint-Jacques les seuls éléments verticaux du plateau, si l’on passe outre les rares arbres, dont un calciné qui rappelle un feu de la Saint-Jean. L’endroit est exceptionnel de beauté et de quiétude, et quel lieu génial pour observer les étoiles les nuits sans nuages ni lune.
Dans la fraîcheur de la chapelle Saint-Jacques, une dame âgée accueille les visiteurs et transmet son savoir sans rien attendre en retour, perpétuant une tradition orale enfouie dans la mémoire des vieilles personnes qui ont de beaux souvenirs. C’est un lieu où je reviendrai car il me parle.