Jour de transhumance : le mini troupeau que nous sommes quitte les Cévennes et les contreforts du Mont Aigoual pour gagner à nouveau le Puy-de-Dôme et poser ses frusques à Saint-Nectaire. Je ressens dans cette remontada inexorable un sentiment proche, toute modestie gardée, de celui qui a dû frapper l’esprit de Bernard Moitessier en 1968 quand le navigateur, alors en tête du Golden Globe Challenge, renonce à franchir la ligne d’arrivée, abandonne la course et poursuit sa route vers l’Océan indien pour finir en Polynésie. Plus le temps a passé dans notre périple, plus l’envie de le poursuivre s’est installée, et plus le retour à une réalité quotidienne me semble délicat. Mais tout rentrera dans l’ordre.
Après quelques lacets au sortir de Nant (Aveyron), une longue ligne droite sur le causse s’est offerte au van pour rejoindre La Cavalerie, puis une ligne droite encore plus longue et plus rapide sur l’A75 pour rejoindre Issoire, mettre le clignotant et atteindre les premières pentes du Sancy. Sur l’autoroute, les panneaux à vocations touristiques indiquent aux automobilistes des lieux importants de la région traversée à 130 km/h. Lors de notre remontée façon saumons vers là d’où nous sommes partis il y a bientôt deux semaines, nous avons pointé les panneaux comme autant d’escales où nous avons emmagasiné des souvenirs dans lesquels il faudra puiser lors de vents mauvais. Jusqu’à sortir de l’A75 pour gagner Saint-Nectaire.
Dans mon parcours personnel, et c’est une anecdote sans grand intérêt, c’est à Saint-Nectaire, sur la place de l’église très précisément, que j’ai assisté, en 1996, à un récital de Hervé Vilard, tout de blanc vêtu dans une doudoune bouffante (il faisait frisquet), semblable à une meringue qui s’agitait fiévreusement devant le velours incarnat de la scène, qui n’était rien de moins que le camion du journal local La Montagne, sponsor du gala, dont les entrailles nues laissaient à la star toute latitude pour envoûter un public conquis dont nous fûmes car, une fois les sarcasmes digérés quant au côté légèrement kitsch du répertoire, l’artiste, lui, envoyait du bois comme s’il était sur la scène de l’Olympia, provoquant en mon for intérieur, une admiration qui ne s’est jamais démentie, n’en déplaise aux pisse-vinaigres toujours prompts à critiquer des goûts qui ne sont pas les leurs.
Le trajet terminé, et après une courte sieste, nous nous sommes posés encore une fois au bord d’une piscine, et nous avons fait passer le temps en devisant sur notre avenir proche. Rien n’est encore fixé au moment d’écrire ces lignes, et c’est en cela que le road trip prend toute sa valeur. Et ce soir, en sirotant une bière locale aromatisée aux fruits rouges (mais on a l’impression de boire une bière au Malabar), je m’amuse à créer des filtres photo à l’aide de la bouteille ; la fatigue de la journée, les fortes chaleurs, l’eau chlorée des piscines, tout cela monte au cerveau et il est temps d’aller dormir.