Le réveil, en van, c’est souvent une question d’interstices. Au réveil, comme d’ailleurs durant la nuit, des raies de lumière se fraient un passage sous les stores qui ne descendent pas jusqu’au bout ou entre les rares espaces laissés vierges par les designers du véhicule. Souvent, la nuit, dans les campings, et avec la complicité de ces interstices, ce sont des lampadaires blafards qui vandalisent les rêves. Ces éclairages sont le plus souvent inutiles, en pleine nuit personne ne se déplace au bloc sanitaire, tout le monde pisse dans un buisson près de la tente ou du van. Ce matin, telle une aiguille venue piquer une fin de nuit encore une fois marquée par la fraîcheur d’un printemps paresseux, un rayon s’est faufilé entre le pare-soleil et le rétroviseur. J’ai ouvert un œil, puis un store ; le soleil rebondissait sur les eaux calmes du lac de Vassivière. C’était beau et j’ai contemplé le spectacle alors que le monde entier dormait encore autour de moi. Puis je suis allé pisser aux sanitaires, il n’y avait pas de buisson autour du van.
Après le petit déjeuner, j’ai quitté un camping qui a peu de chance de me revoir pour me rendre, quelques hectomètres plus loin, au point de départ d’une mini randonnée qui me ferait faire le tour de l’île de Vassivière. Une boucle de cinq minuscules kilomètres, parfaitement revivifiante et délicieusement sylvestre. Le ciel était clément, les nuages inoffensifs.
L’île de Vassivière abrite le Centre International d’Art et du Paysage (que je n’ai pas visité) et tout au long du chemin qui suit la rive, on tombe sur des installations d’art contemporain. Du béton, de la ferraille, de la pierre, un jet d’eau à l’arrêt, etc. J’ai fait l’effort de lire les cartels qui accompagnent chaque œuvre, mais ma lecture n’a jamais pu dépasser le deuxième paragraphe.
Je respecte la démarche, elle m’échappe, tout simplement, et provoque en moi la même émotion qu’une place de parking dans les sous-sols d’un centre commercial d’une ville moyenne. Ce n’est définitivement pas mon truc ; mes vraies œuvres d’art sont dans le mouvement des hautes herbes balayées par le vent ou dans l’alignement rectiligne des sapins.
De retour au van, je me suis fait un café et c’est alors que le monde est arrivé, en autocar, en voiture, en camping-car. Le monde s’est docilement parqué autour de moi qui, réchauffé par la Bialetti qui préparait mon jus, avait créé une bulle d’existence hors sol. Tous se sont dirigés vers l’île, les nuages et les premières gouttes de pluie venaient d’apparaître, j’ai décidé de rentrer à la maison.
Sur la route, la ville de Saint-Léonard-de-Noblat se préparait à célébrer ses ostensions septennales, des processions d’origines médiévales qui honorent la mémoire du saint patron des prisonniers. La ville était décorée, séduisante, terriblement catholique.
C’était la dernière image de ce mini road-trip de trois jours. Après Saint-Léonard, très vite, j’ai fermé les yeux car s’est imposée la laideur de Limoges et l’ennui profond d’une diagonale rendue toutefois supportable par le piano de Khatia Buniatishvili et la perspective de retrouver les miens.